Dans les années 1940, des mouvements pour les droits civiques des Africains Américains (Civils Rights Movements) sont créent pour mener une lutte pour l’égalité de droits pour tous les citoyens américains sans exclusion de race aux Etats Unis. C’est tout un système alors basé sur la ségrégation appelé Jim Crow[1] qui est remis en question, malgré l’abolition de l’esclavage en 1865. Grâce aux actions de diverses structures comme le NAACP [2] , le SNCC[3], le CORE[4] et du SCLC[5], des problématiques liées au fait d’être Africains Américains aux Etats-Unis durant cette période vont être mises en lumière, des problématiques centrées notamment sur le droit de vote, l’égalité devant la loi et l’accès à une meilleure éducation. Pourtant, ces problématiques, si elles sont principalement centrées sur l’Homme noir en général, semblent ne pas englober les particularités des femmes noires victimes non seulement du même racisme mais également de sexisme autant de la part de la majorité blanche que des hommes noirs.
En parallèle, le mouvement féministe américain qui commence au milieu du XIXème siècle prend de l’ampleur grâce à l’action de plusieurs activistes, principalement des femmes blanches. L’année 1848 est une année importante pour le mouvement en ceci qu’elle est celle de la proclamation de « La déclaration de sentiments » signée lors de la Convention de Seneca Falls[6], la toute première convention sur les droits de la femme. L’intention de la déclaration est sans ambiguïté : abolir les inégalités hommes-femmes et ce à tous les niveaux, qu’ils soient politiques, économiques et juridiques entre autres. Toutefois, ce féminisme semble mettre également de côté la femme noire et les types de domination dont elle est victime, à savoir la ségrégation et du racisme.
Devant ces différentes mises à l’écart, un autre type de mouvement, en contre pied de ceux précédemment cités, se crée, un mouvement qui, lui, s’appuie sur les particularités de la femme noire africaine américaine et sur la double[7] oppression dont elle est victime. Il s’agit du Black feminism[8], un mouvement né aux Etats-Unis à la fin des années 1960. Son objectif est de promouvoir et de défendre les droits des femmes africaines américaines. Il a ceci de particulier qu’il est une réponse aux manquements des luttes pour les droits civiques à la fois des noirs et des femmes en général.
Notre travail va consister à comprendre les prémisses de ce mouvement et à détailler ses revendications et ses objectifs.
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Notes :
[1] 1876 - 1964
[2] Student Non violent Coordinating Committee créé par Ella Baker en 1960.
[3] National Association for the Advancement of Coloured People fondée en 1909 par WEB Dubois, Ida B. Wells et Mary White Ovington entre autres.
[4] Congress of Racial Equality crée en 1942 par James L. Farmer, Jr., George Houser, James R. Robinson, Samuel E. Riley, Bernice Fisher, Homer Jack, and Joe Guinn.
[5] Southern Christian Leadership Conference créee en 1957 par Martin Luther King.
[6] Etait présent à cette convention l’ancien esclave et journaliste Frederik Douglas (1817-1895), une des plus grandes figures du mouvement d'émancipation et du droit de vote des Noirs et l’un des plus grands défenseurs du droit de vote pour les femmes.
[7] L’oppression est double si la femme africaine américaine est opprimée à cause de son genre et de sa couleur de peau. Elle est triple si elle est opprimée à cause de son genre autant par les hommes noirs que les hommes blancs, et à cause de sa couleur de peau par les femmes blanches.
[8] Nous choisissons de conserver l’expression en anglais dans notre travail.
I- La masculinisation de l’histoire des mouvements afro-américains
I-1 : Une histoire de libération au masculin
L’histoire de la naissance du Black feminism est inextricablement liée à celle de la lutte pour les droits civiques des noirs aux Amériques d’une part et de la lutte pour les droits des femmes de l’autre part dès 1848. A compter de cette date, des associations de défense pour les droits civiques des noirs se constituent, dont les moyens d’actions diffèrent toutefois. Ce sont notamment : la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) en 1909 la SCLC ( Southern Christian Leadership Conference), luttant pour les droits civiques dans un esprit de non-violence chrétienne. Si leurs revendications sont très claires (acquisition des droits civiques égales à ceux des Américains blancs), des tensions finissent toutefois par diviser ses membres principalement à cause des méthodes de lutte et surtout à cause des populations cibles. En effet, ce sont des mouvements à dominante masculine au sein desquels les femmes finissent par être écartées. Dans un article intitulé « Black Women and Black Power »[1], Rhonda Y. Williams explique bien l’image masculinisée qui a été véhiculée pendant des décennies à propos des activistes œuvrant pour les droits des Africains Américains. Au sein de l’imaginaire collectif populaire, les activistes sont principalement d’«effrayants hommes noirs », dont les vêtements (bérets noirs, coiffures en afros, lunettes de soleil noirs et longues veste) et l’attitude (effrayants) renforcent la masculinité : «The phrase "Black Power!" usually evokes inspiring, or frightful, images of black men in the late 1960s. They wore black berets, Afros, dark sunglasses, and slick leather coats.[…] Such spellbinding masculine images of Black Power dominated not only public attention in the late 1960s and 1970s, but also the history recalled, told, and written about the era despite black women's presence in the visual record. »
L'autre image, plus pacifique, est celle du Pasteur Martin Luther King (1929 – 1968), fondateur de la SCLLC. Figure emblématique du mouvement pour les droits civiques, il s’illustre par son combat basé sur la non - violence et devient célèbre à travers son discours I have a dream prononcé le 28 août 1963, à Washington. Sur les photos ou les vidéos du lauréat du prix Nobel de la paix de 1964, il apparaît toujours impeccablement vêtu d’un costume sombre, d’une cravate de la même couleur et d’une chemise immaculée. Il est également rasé de près et semble en excellente santé. Il est évident que l’activiste, en usant des atouts tels qu’une apparence soignée et ses aptitudes d’orateur, cherchait probablement à atteindre toutes les couches de la société américaine dans son ensemble et plus particulièrement les blancs conservateurs.
Notes
[1] Rhonda Y. Williams, « Black Women and Black Power», Magazine of History; july 2008, Vol. 22 Issue 3, p22.
I-2 : Les femmes des mouvements pour les droits civiques
Deux images qui ne sont pourtant pas totalement représentatives des diverses forces en présence dont celles féminines. Comme le révèle Elsa Dorlin dans son introduction du livre Black feminism Revolution ! La Révolution du féminisme Noir ![1], « à partir des années 1830, aux Etats-Unis, nombre d’associations féminines se sont activement mobilisées en faveur de l’abolition de l’esclavage [contre le lynchage et pour les droits civiques], dont la Ladies’s New York Anti-Slavery Society (fondée en 1835) et la Female Anti-Slavery Society (fondée en 1833). » Elles participent activement à la création de structures qui vont permettre d’exprimer leur activisme. Dès 1830, elles sont partie intégrante des mouvements pour les droits civiques et ceci jusqu’à aujourd’hui. Elles sont notamment à l’origine d’organisation dont les rôles ont été d’une importance majeure dans la lutte.
I-2 - 1: La première génération d’activistes africaines américaines
Des femmes sont le moteur de la contestation. Deux Africaines -Américaines vont notamment dès les années 1850 se démarquer par leur activisme dans la cause abolitionniste et du mouvement des droits des femmes. Il s’agit de Sojourney Thruth (1797 – 1883) qui s’illustre par ses prêches, et de Harriet Tubman (1822 – 1913) qui, durant plus d’une décennie, a permis la libération clandestine de plusieurs esclaves.
Ces femmes sont parmi les plus connues. D’autres, moins connues, ont également participé activement aux combats. Il s’agit notamment de la journaliste Ida Wells-Barnett (1862 – 1932) dont les prises de positions contre le lynchage sont très engagées et qui lutte activement pour le droit des noirs. Elle a notamment organisé avec Frédéric Douglass (par ailleurs l’un des seuls hommes à soutenir le droit de vote des femmes durant la convention de la Seneca Falls de 1848) un boycott de l'exposition universelle de 1893 à Chicago. Elle est surtout l’une des deux femmes, avec Mary White Ovington, qui ont participé à la création de la NAACP.
I-2 - 2: La deuxième génération
La génération suivante qui reprend le flambeau est représentée par des figures telles que Septima Poinsette (1898 – 1987), « mère des mouvements des droits civiques » selon Martin Luther King[2] ; Dorothy Irene Height (1912 – 2010), Présidente du National Council of Negro Women (Conseil national des femmes noires) de 1957 à 1998 et Maya Angelou (1928 – 2014), coordinatrice de la section new-yorkaise de l'organisation de Martin Luther King. On peut également citer la fondatrice de la SNCC, Ella Josephine Baker (1903–1986), considérée comme étant l’une des figures les plus importantes du mouvement des droits civils[3]. Il y a enfin Angela Davis (1944 –), membre des Black Panthers, surtout connue pour ses virulentes prises de positions et ses démêlés avec la justice américaine.[4].
Chacune des femmes précédemment citées a dû faire face à des hommes qui, se sentant menacés dans leur masculinité et dans leur leadership, ont remis en cause leur engagement. Une situation restée quasiment semblable à plus d’un siècle d’écart.
I-3 : Ne suis-je pas une femme ?
Sojourner Truth, dans un discours prononcé en 1851[5], à la Women's Convention de Akron dans l’état d’Ohio, effectue une déclaration forte dont l’objectif est de déplacer l’attention sur la femme trop souvent reléguée au second plan. Elle y dit les souffrances et les injustices dont la femme est victime et de cette manière attire l’attention sur son courage et les épreuves qu’elle doit endurer du fait de son genre : « And ain't I a woman? Look at me! Look at my arm! I have ploughed and planted, and gathered into barns, and no man could head me! And ain't I a woman? I could work as much and eat as much as a man - when I could get it - and bear the lash as well! And ain't I a woman? I have borne thirteen children, and seen most all sold off to slavery, and when I cried out with my mother's grief, none but Jesus heard me! And ain't I a woman? [6] ».
Les femmes sont donc reléguées à un rôle qui se définit et se fixe à cause de leur genre, rendant leur participation aux mouvements difficiles. Elles se retrouvent souvent accusées à tort d’entrer en conflit avec l’homme noir en termes de pouvoir. Plus d’un siècle après le discours de Sojourney Thruth, en 1975, l’écrivaine et féministe africaine américaine Michele Wallace, en racontant son expérience d’activistes au sein des mouvements pour les droits civiques, déclare dans son livre Une féministe noire en quête de sororité : « Il m’a fallu trois ans pour comprendre que Stokely[7] était sérieux quand il disait que ma position dans le mouvement était “couchée”, trois ans pour réaliser que je n’étais pas incluse dans les innombrables discours invoquant “l’homme noir”... J’ai appris. J'ai appris que les femmes Noires (moi comprise), s' étaient conduites de manière odieuse pour tenter de détruire la masculinité de l'homme Noir; on m'expliqua que nous l'avions castré [ ... ] que nous avions toujours été trop bruyantes et dominatrices [ ...]»[8].
Maya Angelou (1928 – 2014), dans son autobiographie intitulée The heart of a woman[9], publiée en 1981 revient sur le statut des femmes au sein du mouvement pour les droits civiques. Activiste de premier ordre, elle a participé à sa manière à la libération des noirs en offrant des spectacles et en écrivant des poèmes. Ses rencontres avec Martin Luther King et plus tard avec celui qui devient son mari, Vusunzi Vus Make, leader d’un mouvement de lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, vont contribuer à l’éloigner du devant de la scène. C’est beaucoup plus tard qu’elle décide de s’engager contre le sexisme des hommes noirs. Dans son poème « Woman work » (1978), elle résume bien la place qu’a la femme dans la société de son époque : celle de mère et de maîtresse de maison[10]. Au fil de ses écrits, elle encourage la femme à se libérer de cette étiquette et à prendre la place qu’elle mérite.
Cette mise à l’écart de la part des leaders masculins des mouvements des droits civiques et de la gent masculine en général est donc l’une des raisons de la prise de conscience des Black feminists. Une mise à l’écart qui est également le principal élément de la rupture avec les féministes Américaines blanches.
[1] Elsa Dorlin, Black Feminism : Anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000, Paris, L’Harmattan, 2007, p.14.
[2] Septima Poinsette Clark, Mère du mouvement des droits civiques https://histoireparlesfemmes.com/2017/03/14/septima-poinsette-clark-mere-du-mouvement-des-droits-civiques.
[3] https://www.uncpress.org/book/9780807856161/ella-baker-and-the-black-freedom-movement/?title_id=270
[4] Lee D. Baker , Ida B. Wells-Barnett and Her Passion for Justice, http : / / people.duke.edu/ ~ldbaker/ classes/ AAIH/caaih/ ibwells/ibwbkgrd.html,
[5] Sojourney Thruth, Ain’t I a woman, discours prononcé en 1851 à la Women's Convention de Akron, Ohio, USA.
[6] « Et ne suis-je pas une femme ? Regardez-moi ! Regardez mon bras ! J’ai labouré, planté, et rempli des granges, et aucun homme ne pouvait me devancer ! Et ne suis-je pas une femme ? Je pouvais travailler autant qu’un homme, et manger autant qu’un homme —quand j’avais assez à manger— ainsi que supporter tout autant le fouet ! Et ne suis-je pas une femme ? J’ai mis au monde treize enfants, et vu la plupart d’entre eux être vendus comme esclaves, et quand j’ai pleuré avec ma douleur de mère, personne à part Jésus ne m’écoutait ! Et ne suis-je pas une femme ? » Notre traduction.
[7] Stokely Carmichael (1941-1998), homme afro-américain, militant du Black Panther Party.
[8] Michele Wallace, Une féministe noire en quête de sororité, Invisibility Blues, Londres, 1982, p. 47-48.
[9] Maya Angelou, The heart of a woman, Random House, New York, 1981.
[10] I've got the children to tend/ The clothes to mend/ The floor to mop/ The food to shop/ Then the chicken to fry/ The baby to dry/ I got company to feed/The garden to weed/ I've got shirts to press/ The tots to dress
The can to be cut/ I gotta clean up this hut/Then see about the sick/ And the cotton to pick. ». Maya Angelou. "Woman Work." And Still I Rise. United States: Random House, 1978, p.50.
II- Un féminisme solipsiste blanc
II-1 : Le mouvement féministe américain
Selon le Trésor de la langue française, le féminisme se définit comme un « mouvement social qui a pour objet l’émancipation de la femme, l’extension de ses droits en vue d’égaliser son statut avec celui de l’homme, en particulier dans le domaine juridique, politique, économique »[1]. Aux États-Unis, selon l’hypothèse de Dorlin, la participation active aux luttes pour l’abolition de l’esclavage forme les femmes à la vie politique et permet la création de plateformes favorables aux revendications féministes. C’est après la fin de la guerre de Sécession (1861- 1865) que vont se constituer des associations féminines qui vont donner lieu au mouvement suffragiste américain, un mouvement qui se donne pour action principale de défendre les droits des Américaines[2].»
II :2 : Les revendications des Suffragettes
Aussi, si les femmes se battent pour les droits des Africains Américains, elles vont progressivement réclamer les mêmes droits pour elles-mêmes. Celles qui se positionnent en leaders sont notamment Susan B. Anthony et Elisabeth Cady Stanton. Ces deux Américaines, à l’issue de désaccords avec les leaders masculins de l’American Equal Right Association, vont fonder la National Woman’s Suffrage Association pour promouvoir le droit de vote des femmes en même temps que celui des noirs. En 1869, l’adoption du XV amendement[3] dans la constitution américaine[4], qui n’accorde le droit de vote qu’aux citoyens mâles toutes races confondues, pousse les femmes à adopter une position plus offensive et à militer avec plus de ferveur pour leurs droits. Il faut pourtant attendre le XIXème amendement entré en vigueur en 1920 et ratifié par l’ensemble des Etats progressivement jusqu’en 1984 pour que les femmes aient le droit de voter.
II -3 : La rupture
Toutefois, des divergences d’opinion finissent par diviser ces féministes en ceci qu’elles ne s’entendent pas sur les droits à accorder aux femmes noires. Pourtant, au sein des associations féministes à l’exemple de la Fédération générale des Clubs de Femmes (1890), l’Association nationale des Femmes de Couleur (1896) on retrouve dans le comité fondateur autant des Américaines blanches que noires. Si certaines féministes Américaines blanches à l’image de Elisabeth Cady Stanton sont en faveur du droit de vote autant pour les femmes blanches que noires, d’autres, à l’exemple de Susan B. Anthony, alors en quête de voix spécifiquement blanches pour soutenir ses projets, sont contre. Cette dernière se désolidarise progressivement de National Woman’s Suffrage Association. Cette mise à l’écart des femmes Africaines Américaines du débat politique va s’exprimer également par une exclusion progressive des organisations féministes[5], la raison invoquée étant qu’elles auraient une « moralité douteuse » (Dorlin,1975) perpétuant ainsi une manière d’envisager une idéologie de la féminité basée sur des considérations sexistes et racistes. A l’opposé de la femme blanche « délicates » et « maternelles », la femme noires est perçue comme « diabolique », « brutale » et « lubrique »[6]. Egalement, les oppressions subies par les Africaines Américaines et les Américaines blanches ne sont pas souvent du même ordre. C’est notamment le cas avec la politique de reproduction qui n’est pas la même selon la race. Angela Davis, citée par Elsa Dorlin, rapporte que si d’un côté les femmes blanches étaient sujettes à l’avortement clandestin, les femmes noires étaient, elles, victimes de stérilisation forcée, une pratique qui entre 1900 et 1970, consistait à stériliser les femmes noires sans leur consentement pour des raisons eugéniques, afin d’éviter les mélanges de race et de conserver la pureté de la race blanche[7]. Il faut enfin observer que si les revendications des femmes blanches portent sur un meilleur accès au travail et sur la volonté de prendre plus de responsabilités politiques, les femmes noires elles, travaillent souvent pour ces femmes blanches et dans de terribles conditions[8].
On le constate, le racisme et le sexisme, les discriminations liées au sexe et au genre sont les deux principales raisons qui justifient grandement la naissance du Black feminism, un mouvement qui se veut de verbaliser et de mettre sur le devant de la scène, les problématiques spécifiques des femmes Africaines Américaines, à l’intersection des oppressions.
[1] Il me semblait difficile d’aborder toutes les questions liées au féminisme aux Etats-Unis, aussi, j’ai fait le choix de la définition du TLFI parce qu’à mon sens, il recouvre, du moins dans sa première acception, les revendications des féministes des origines. J’ai trouvé cette définition en accord également avec les objectifs des premières féministes abordées dans mon travail, surtout au niveau juridique.
[2] Elsa Dorlin, op.cit., p.15.
[3] 1870 : Amendement XV, Section 1. Le droit de vote des citoyens des Etats-Unis ne sera ni refusé ni limité par les Etats-Unis ou par un Etat quelconque pour des raisons liées à la race, à la couleur ou à un état antérieur de servitude. In La constitution américaine, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/election-presidentielle-americaine-2008/constitution-americaine.shtml.
[4] Il faut attendre 1965, l’année de l’adoption du Voting Rigts Acts pour que les minorités raciales aient pleinement le droit d’exercer leur droit de vote.
[5] Exclusion de Mary Church Terrell, présidente de l’Association nationale des Femmes de Couleur (fondée en 1896) et de Josephine Ruffin, vice-présidente de la même association.
[6] Elsa Dorlin, La matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la Nation française, Paris, Coll. Poche/Sciences humaines et sociales (La Découverte 2009), p.13.
[7] Voir les travaux de William H Tucker in The Funding of Scientific Racism: Wickliffe Draper and the Pioneer Fund, http://www.press.uillinois.edu/books/catalog/65rwe7dm9780252074639.html
[8] bells hooks, Ain’t I a woman, South End Press, Boston, 1982, p. 36.
III- Le mouvement Black feminism
III -1 : un mouvement à l’intersection des oppressions
Le Black feminism est un mouvement qui remonte à 1969 [1] Le texte rédigé la même année par Mary Ann Weathers, “ An argument for Black women’s liberation as a revolutionnary force »[2], est considéré comme fondateur du Black feminism. Dans ce texte, le projet de Mary Ann Weathers est clair : il s’agit pour elle d’encourager les femmes africaines américaines de s’approprier le combat, en ceci que ce sont elles les mieux placées pour le faire : « Nobody can fight your battles for you; you have to do it yourself. [3]» Elle inaugure de cette manière une seconde vague du mouvement féministe américain focalisée sur les problématiques des Africaines Américaines. Elle rappelle dans son texte le rôle primordial de ces femmes dans la lutte pour la libération des noirs, se positionne contre l’apologie du patriarcat noir et encourage les femmes noires à se libérer de la culture de l’esclavage. C’est donc un texte engagé qui se propose de déconstruire le système misogyne mais également raciste. Toutefois, elle ne se propose pas de lutter contre les hommes, loin de là. La méthode de combat qu’elle préconise passe plutôt par une meilleure connaissance de soi et l’établissement d’une collectivité motivée par les mêmes buts, débarrassée de la jalousie envers les autres femmes et du conformisme aux hommes. Elle effectue également un mouvement qui consiste à englober toutes les femmes dans le combat, quels que soient leur âge, leur couleur de peau et leur classe sociale. Pour elle, les femmes âgées[4] et les femmes pauvres constituent le socle de ce combat, au vu de leurs expériences et de leur regard critique sur la société.
III -2 : Black Women’s Manifesto : pour une radicalisation de la lutte
C’est sur ce dernier point, notamment celui de la race, que Mary Ann Weathers va rencontrer le désaccord de certaines activistes du Black feminism qui, à l’image du collectif du collectif Third World Women’s Alliance, ne sont pas d’avis de considérer que les autres « races » subissent le même type d’oppression que les femmes noires. Si leurs réclamations sont semblables (égalité de droits et de traitements que les hommes), elles sont lucides sur le fait que ce sont les femmes noires qui doivent être au centre du discours. C’est ainsi qu’en 1970, paraît le Black Women’s Manifesto[5] (1970), un recueil de textes beaucoup plus radicaux que celui de Mary Ann Weathers. Dans ce recueil de 52 pages, les auteures, Eleanor Holmes Norton, Maxine Williams, Frances Beal et Linda La Rue attaquent de front, avec réalisme et sans aucune complaisance les diverses problématiques de leur société. Ce qui caractérise ce recueil de textes, c’est sa tonalité révolutionnaire et la volonté affichée d’en découdre avec le patriarcat et le racisme. Elles sont très critiques envers l’homme noir et sa volonté de mimétisme, et pointent un doigt accusateur sur les diktats des standards de beauté féminine qui obligent les femmes noires à se couvrir la tête de perruque et à se blanchir la peau. Elles s’insurgent également contre l’oppression économique de la femme noire et accusent avec virulence des personnalités et des groupes socio-politiques, à l’exemple de l'Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames[6], coupable selon elles de collaboration avec les blancs et de racisme
III-3 : Le Combahee River et le principe d’intersectionnalité
En 1973, le National Black Feminist Organization suivie, l’année d’après, par le Combahee River Collective (CRC), un collectif fondé par Barbara Smith, Cheryl Clarke et Gloria Akasha Hull. Ce sont des militantes qui ont été actives dans les mouvements pour les droits civiques ainsi que le mouvement féministe mais qui en sont ressorties déçues. Dans leur déclaration[7], elles expliquent cet état de fait : « Ce sont nos expériences et nos désillusions à l’intérieur de ces mouvements de libération ainsi qu’à la périphérie de la gauche masculine blanche [white male left], qui nous ont poussées à développer une politique qui soit antiraciste, à la différence de celle des femmes blanches, et antisexiste, à la différence de celle des hommes Noirs et blancs ». Le Combahee River a vu ses rangs renforcés plus tard par des groupes de défense des lesbiennes.
En 1989, une juriste féministe américaine appelée Kimberly Crenshaw [8] va théoriser et conceptualiser le combat des Black feminists sous le nom d’ « intersectionnalité ». Il s’agit d’un terme qui désigne la rencontre entre toutes les formes d’oppression que les femmes noires subissent du fait de leur race et de leur genre. Dans son article, Kimberley Crenshaw, en s’appuyant sur trois procès qui se sont déroulés aux Etats-Unis entre 1964 et 1970, montre qu’il a été difficile pour les femmes noires qui constituaient les parties plaignantes, de représenter uniquement les femmes noires. En effet, dans chacun des cas, le Tribunal déboutait les plaintives sur la base qu’elles ne représentaient ni les femmes blanches des entreprises qui n’étaient pas victime de sexisme, ni les hommes noirs qui n’étaient pas victimes de racisme de la part des employeurs. Le concept d’intersectionnalité offre un espace au sein duquel les spécialistes[9] peuvent envisager et discuter des diverses formes d’oppressions spécifique à la femme noire : sexisme et le racisme et par extension, le sexisme et le classisme, le sexisme et l’homophobie, le sexisme et la transphobie, mais aussi transphobie, homophobie, classisme et racisme au sein du féminisme. [10]
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Notes :
[1] . Il recouvre selon Dorlin, « la pensée et le mouvement féministes africains-américains en tant qu’ils diffèrent du féminisme états-unien “ en général ”, précisément critiqué et reconnu pour son “ solipsisme blanc ”, héritier malgré lui de la fameuse “ ligne de couleur ” produite par les systèmes esclavagiste, puis ségrégationniste ou discriminatoire, encore à l’œuvre dans la société américaine contemporaine.» Elsa Dorlin, op.cit., p.10 .
[2] Mary Ann Weathers, “ An argument for Black women’s liberation as a revolutionary force ”, No More Fun and Games : A Journal of Female Liberation, vol. 1, n° 2, 1969 ; disponible en ligne sur le site de la bibliothèque universitaire de Duke University qui a rassemblé nombre d’archives du mouvement de libération des femmes états-unien, dont de nombreux documents du mouvement féministe noir : http://scriptorium.lib.duke.edu/ wlm/fun-games2/argument.html
[3] Mary Ann Weathers, op.cit.
[4] Third World Women’s Alliance, Black Women’s Manifesto, New York, n.d. (1970).
[5] Third World Women’s Alliance, Black Women’s Manifesto, New York, n.d. (1970).
[6] The International Ladies Garment Workers Union (ILGWU)
[7] Jules Falquet, « Déclaration du Combahee River Collective », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 2006, mis en ligne le 01 décembre 2009, consulté le 07 avril 2017. http://cedref.revues.org/415
[8] Kimberly Crenshaw, « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex: A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics », University of Chicago Legal Forum, 1989.
[9] Bilge Sirma, « Théorisations féministes de l'intersectionnalité », Diogène, 1/2009 (n° 225), p. 70-88., http://www.cairn.info/revue-diogene-2009-1-page-70.htm consultée le 8 avril 2017.
[10] Kimberly Foste, Thank A Black Feminist, https://www.youtube.com/watch?v=fdjpY9gm_GA, ajoutée le 7 janvier 2017, consultée le 8 avril 2017.
Conclusion
La lutte pour les droits des Africaines Américaines est un débat qui demeure vif et actuel. Durant l’été 2016, l’actrice Leslie Jones, après avoir joué dans la version féminine du film Ghostbusters, a subi des attaques sexistes et racistes pour « la simple raison qu’elle est une femme noire sur le devant de la scène [entendons par là, personnage principal d’un film populaire qui appartient à l’univers traditionnel de référence de l’Amérique blanche] »[1]. Le combat des féministes Africaines américaines de la deuxième vague des années 1970 a toutefois permis de commencer à saisir la complexité de l’existence de la femme aux Etats-Unis, en tant que femme et noire.
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Bibliographie
Livres de référence :
- Angelou, Maya, "Woman Work." And Still I Rise. United States: Random House, 1978.
- hooks, bells, Ain’t I a woman, South End Press, Boston, 1982
- Dorlin, Elsa,
- Black Feminism : Anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000, Paris, L’Harmattan, 2007
- La matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la Nation française, Paris, Coll. Poche/Sciences humaines et sociales (La Découverte 2009), p.13.
- Hull, Gloria, Bell Scott , Patricia, Smith ,Barbara, ed., All the Women are White, All the Blacks are Men but Some of Us are Brave. Black Women’s Studies, Old Westbury, N.Y. : Feminist Press, 1982.
- Third World Women’s Alliance, Black Women’s Manifesto, New York, n.d. (1970).
- Thruth, Sojourney, Ain’t I a woman, discours prononcé en 1851 à la Women's Convention de Akron, Ohio, USA.
- Weathers, Mary Ann, “An argument for Black women’s liberation as a revolutionary force”, No More Fun and Games : A Journal of Female Liberation, vol. 1, n° 2, 1969 .
Théories et critiques:
- Crenshaw, Kimberly, « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex: A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics », University of Chicago Legal Forum, 1989
- Falquet, Jules, « Déclaration du Combahee River Collective »,Les cahiers du CEDREF [En ligne], 2006, mis en ligne le 01 décembre 2009, consulté le 07 avril 2017. URL : http://cedref.revues.org/415
- Hooks, bell, “Racism and feminism. The issue of accountability”, in L. Back et J. Solomos, ed., Theories of Race and Racism : a Reader, New York : Routledge, 2000
- Sirma, Bilge « Théorisations féministes de l'intersectionnalité », Diogène, 1/2009 (n° 225), p. 70-88., http://www.cairn.info/revue-diogene-2009-1-page-70.htm consulté le 8 avril 2017
- Tucker, William H., The Funding of Scientific Racism: Wickliffe Draper and the Pioneer Fund, http://www.press.uillinois.edu/books/catalog/65rwe7dm9780252074639.html
- Wallace, Michele, Une féministe en quête de sororité, Invisibility Blues, 1982.
- Septima Poinsette Clark, Mère du mouvement des droits civiques https://histoireparlesfemmes.com/2017/03/14/septima-poinsette-clark-mere-du-mouvement-des-droits-civiques.
- https://www.uncpress.org/book/9780807856161/ella-baker-and-the-black-freedom-movement/?title_id=270
- Lee D. Baker , Ida B. Wells-Barnett and Her Passion for Justice, http : / / people.duke.edu/ ~ldbaker/ classes/ AAIH/caaih/ ibwells/ibwbkgrd.html,
Vidéographie
- Boldly, Why are Black women so angry?,
https://www.youtube.com/watch?v=GkLgNmSvVFM, ajoutée le 10 septembre 2016, consultée le 8 avril 2017.
- Foste, Kimberly, Thank A Black Feminist,
https://www.youtube.com/watch?v=fdjpY9gm_GA, ajouté le 7 janvier 2017.
[1] Boldly, Why are Black women so angry?, https://www.youtube.com/watch?v=GkLgNmSvVFM, ajoutée le 10 septembre 2016, consultée le 8 avril 2017.