Mongo Beti
……… Mongo Beti, de son vrai nom Alexandre Biyidi-Awala, est considéré comme l’un des plus auteurs prolifiques du XXème siècle. Sa plume acerbe et sa verve incendiaire sont au service d’une cause : la liberté. Mongo Beti, né en juin 1932 et décédé en octobre 2001, a sans conteste marqué sa génération et les suivantes avec son écriture sans concession et sans tabou, raison pour laquelle il est considéré comme le père de la littérature africaine moderne. Romancier, essayiste, entrepreneur, enseignant, libraire, éditeur, époux et père, Mongo Beti a porté toutes les casquettes dans une quête insatiable de savoir et d’accomplissement.
……… L’écriture de Mongo Beti se caractérise globalement par le fait qu’elle est intimement liée à l’évolution du paysage socio-politique africain en général et camerounais en particulier. Sa carrière romanesque est forte de treize romans publiés entre 1956 et 2000. De l’avis de plusieurs critiques, le parcours littéraire de Mongo Beti est réparti en trois grands moments : un moment anticolonialiste, un moment post indépendant et un moment de retour d’exil.
La période anticolonialiste
1953 – 1958
……… Le premier moment de la carrière littéraire de Mongo Beti est celui constitué des œuvres anticolonialistes dont la nouvelle Sans haine et sans amour (1953) et les romans : Ville cruelle (1954), Le Pauvre Christ de Bomba (1956), Mission terminée, (1957) et Le Roi miraculé : chronique des Essazam (1958). Avec ces œuvres, il s’inscrit dans la deuxième génération des écrivains noirs d’expression française tels que Ferdinand Oyono, Sembene Ousmane et Chinua Achebe. Le point commun entre leurs écrits réside dans une volonté de dénoncer les atrocités de la colonisation française en Afrique et de militer pour la libération culturelle, sociale, économique et politique du peuple africain. Pour Guy Ossito Midiohouan, les premières œuvres de Mongo Beti sont à l’origine du roman nationaliste africain :
Les œuvres que nous classons dans cette catégorie sont caractérisées par un puissant rêve de liberté et de dignité, une tension permanente vers un avenir sans servitude ni aliénation. La ferme volonté de briser l’ordre colonial dans une lutte sans merci pour changer la vie. Le ton n’est plus à la conciliation, ni au compromis : il s ‘agit d ‘une confrontation. Ce courant est inauguré par une nouvelle, Sans haine et sans amour […] dans laquelle le héros, Momoto, prend part à la révolte des Mau-Mau dans les faubourgs de Nairobi. Cette nouvelle annonce déjà par son atmosphère révolutionnaire Ville cruelle (1954)[1].
……… Ces romans marquent surtout le début d’un engagement littéraire de la part de Mongo Beti qui va se déployer pratiquement jusqu’à la fin de sa carrière. Dès le départ, l’écriture est perçue et utilisée comme une arme de libération contre l’asservissement des peuples africains. C’est notamment le cas avec Ville cruelle[2]. Ce roman, publié aux Éditions Présence Africaine, est devenu un classique des littératures africaines d’expression française. Il se présente comme un manifeste contre l’oppression des paysans et des ouvriers africains par les colons. Le narrateur y relate les mésaventures d’un vendeur de cacao, Banda, qui se rend à la capitale pour la vente de ses produits. Malheureusement, les autorités usent et abusent de leurs prérogatives pour le dépouiller. Mongo Beti n’est âgé que de 22 ans quand il publie ce roman. À cette époque, parce qu’il est difficile de se protéger contre l’administration coloniale, l’écrivain camerounais adopte le pseudonyme Eza Boto qu’il change en Mongo Beti dès son second roman.
……… Son engagement littéraire prend sa source à Yaoundé, en 1945, où il entame ses études secondaires au lycée Leclerc couronnées par l’obtention de son baccalauréat en 1951. Durant cette période, il commence à s’intéresser à la politique et à se former au militantisme, notamment en assistant aux réunions de l’UPC (Union des Populations du Cameroun), un parti fondé par le nationaliste Ruben Um Nyobe en 1948[3], l’un des plus farouches opposants à la colonisation française. Mais bien avant cela, l’esprit contestataire de Mongo Beti se forme déjà durant ses études primaires à l’école des missions catholiques à Mbalmayo entre 1935 et 1943. Son peu d’intérêt pour le cursus de prêtre conduit à son renvoi de l’établissement.
……… Avec Le Pauvre Christ de Bomba (1956), l’engagement littéraire de Mongo Beti s’affirme. Son ouvrage suscite un véritable scandale dans le milieu littéraire, notamment à cause de la satire des missionnaires de l’église catholique installés au Cameroun. Il y montre l’échec d’une mission d’évangélisation effectuée par un missionnaire auprès de divers villages dans l’ouest du Cameroun. Pour le romancier, les principes de l’évangélisation peuvent être mis en parallèle avec ceux du capitalisme européen[4]. Cette théorie déplaît fortement à l’administration coloniale qui interdit l’ouvrage. Cette première expérience de censure renforce le sentiment de de l’écrivain contre un système colonial inadapté et cruel envers les Africains. Par la suite, il publie en 1958 Le Roi miraculé : chronique des Essazam. Ce roman dépeint les bouleversements des mœurs des Essazam, une tribu dont le chef, sur le point de mourir, revient inexplicablement à la vie. L’Eglise catholique s’attribue ce miracle, ce qui contribue à bouleverser le mode de vie des Essazam basé sur un certain nombre de valeurs traditionnelles. La sortie du roman coïncide avec une tournée qu’effectue Mongo Beti sur le continent africain, alors reporter pour la revue Preuve.
Notes et références :
[1]Midiohouan, L ‘idéologie dans la littérature négro-africaine d’expression française 1986, p. 141) in André Djiffack, La quête de la liberté chez Mongo Beti, écrivain africain, University of Cape Town, juillet 1998, p.17
[2] Publié sous les pseudonyme Eza’a Boto.
[3]Ambroise Kom, Mongo Beti Parle, Testament d’un esprit rebelle, Paris, Ed. Homnisphères, 2003, p. 87.
[4] Mongo Beti, « Le Pauvre Christ de Bomba expliqué ! » in Peuples Noirs, Peuples Africains, N°. 19 (1981) 104-132, disponible sur http://mongobeti.arts.uwa.edu.au/issues/pnpa19/pnpa19_08.html
Sans haine et sans amour, 1953
Le Pauvre Christ de Bomba, 1956
Le Roi miraculé : chronique des Essazam, 1958.
Le soutien aux mouvements nationalistes
1972 – 1991
…… Après quatorze années de silence, Mongo Beti fait à nouveau parler de lui, non pas avec une œuvre romanesque, mais avec Main basse sur le Cameroun (1972), un essai virulent qui a la particularité de provoquer un véritable tollé en France et au Cameroun. Dans cet essai, il dénonce l’implication de la France dans le processus de pillage systématique du Cameroun et critique leur omniprésence dans le pays, malgré une indépendance qu’il juge illusoire. Il y revient sur le procès de l’un des plus célèbres prisonniers politiques et dernier chef de file de la lutte pour l’indépendance du Cameroun, Ernest Ouandié, et sur le rôle de la France dans sa condamnation à mort en 1971. Le livre est saisi et il faut quatre années de procès à Mongo Beti et à son éditeur, François Maspero, pour qu’en 1976 l’interdiction soit levée.
…… A partir de là, Mongo Beti est contraint à l’exil en France. Dès lors, une prise de position radicale contre le pouvoir colonial et néocolonial s’affirme dans son écriture. Elle l’oriente vers un engagement politique total qu’il concrétise en 1978 avec la fondation de la revue Peuples Noirs, Peuples Africains. Mongo Beti et son épouse Odile Tobner qui s’associe à lui pour ce projet présentent le journal comme une revue des radicaux noirs de langue française. Le projet de la publication est clairement annoncé dès le premier numéro qui paraît en janvier 1978. Celui-ci est consacré intégralement à sa présentation : sa ligne éditoriale, les raisons de sa création, son contenu, son financement, les contributeurs et bien d’autres aspects qui sont condensés dans la déclaration d’intention :
Dix-huit ans après les indépendances, voici enfin une publication noire importante contrôlée financièrement, idéologiquement et techniquement par des Africains francophones noirs, et par eux seuls. Voici la première grande publication noire francophone totalement indépendante non seulement des gouvernements africains, mais aussi de tous les hommes, de toutes les institutions, de tous les organismes derrière lesquels se dissimule habituellement le néo-colonialisme de Paris […][1].
…… Il s’agit donc pour Mongo Beti de se réapproprier intégralement et, en totale liberté, tous les aspects de la vie politique, économique et socioculturelle de l’homme noir à travers l’écriture. Ce projet suscite une vive controverse en France et au Cameroun. La revue finit par être censurée au Cameroun et parvient à peine à circuler en Europe.
…… Le deuxième moment littéraire de Mongo Beti s’opère avec son retour à l’écriture romanesque. Il publie cinq ouvrages entre 1974 et 1984 : Perpétue et l’habitude du malheur (1974), Remember Ruben (1974), La Ruine presque cocasse d’un polichinelle : Remember Ruben 2 (1979), Les Deux Mères de Guillaume Ismaël Dzewatama, futur camionneur, (1983) et La Revanche de Guillaume Ismael Dzewatama, (1984). Ces romans, surtout les trois premiers, sont analysés par les critiques comme des suites fictives de son essai Main basse sur le Cameroun. Ils ont la particularité d’être construits autour de la figure du nationaliste Camerounais et meneur principal des maquisards, Ruben Um Nyobe, un personnage que Mongo Beti admire considérablement[2] et dont le nom se trouve dans deux des cinq titres[3]. Le romancier s’engage en faveur de ces mouvements révolutionnaires desquels il espère une amélioration de la situation socio-politique favorable aux populations.
…… Les thématiques principales qui y sont abordées sont celles de l’échec des mouvements nationalistes pour l’indépendance, la critique du régime dictatorial qui en est la conséquence et les perversités de cette politique inadaptée au contexte africain. Toutefois, contrairement aux essais, l’auteur laisse libre cours à son imagination créatrice et, par exemple, achève La Ruine presque cocasse d’un polichinelle : Remember Ruben 2 par la chute du dictateur et la victoire des maquisards, un fait qui est en contradiction avec la réalité historique. André Djiffack analyse ainsi cette orientation utopique volontaire de Mongo Beti ainsi :
[…] On pourrait voir dans le triomphe des rubenistes mis en récit la revanche de l’imaginaire sur la réalité, c’est-à-dire, une catharsis scripturaire par laquelle Mongo Beti entend guérir ses congénères d’un traumatisme profond consécutif à une libération nationale avortée. Richard Bjornson ne pense pas autre chose lorsqu’ il interprète la force de l’utopie dans les œuvres romanesques de la période postcoloniale de l’écrivain camerounais[4] :
“What distinguishes his [Mongo Beti] later novels from his earlier ones is the presence of a utopian element, the suggestion that there are alternatives to oppression, and the belief that he has found appropriate revolutionary strategies for attaining them. More than technological progress, Africans need psychological liberation. Rather than conceiving of themselves as the helpless victims or passive adjuncts of a superior race, they need to forge an image of themselves as a people capable of taking historical initiative and benefitting from the fruits of their own labor (Bjornson, 1985, p. xxvi)”[5].
…… Ces œuvres ne s’inscrivent pas forcément dans une actualité. En effet, Mongo Beti écrit sur les upécistes alors que leur combat est avorté déjà depuis une dizaine d’années. L’hypothèse formulée est qu’il avait peut-être l’espoir que leur combat s’achèverait positivement, ce qui ne fut pas le cas.
…… Sur le plan de la narration, Mongo Beti s’inscrit dans la démarche traditionnelle du roman réaliste. L’intrigue y est linéaire et ses œuvres se présentent comme des instantanés de la période coloniale et post-coloniale. Elles se veulent en contradiction des discours ethnologiques qui portent un regard exotique et dépersonnalisé sur l’Africain. Ses personnages principaux sont en général des personnages de condition modeste voire pauvre. Il s’agit d’opposants qui se battent pour leur liberté à l’exemple de Mor-Zamba (Remember Ruben et la Ruine presque cocasse d’un polichinelle) ou encore d’Essola, le frère de Perpétue dans Perpétue et l’habitude du malheur, qui a été emprisonné pour s’être opposé à un régime. Le romancier éprouve une forte sympathie pour ses héros, ce qui fait dire à André Djiffack que l’univers de Mongo Beti est clairement « manichéiste »[6] .
…… Dans ces romans, l’illusion du réel est très perceptible. C’est notamment le cas avec cet extrait de Remember Ruben :
Un jour, pourtant, vers la fin de la semaine, autant que nous puissions le savoir maintenant, il fut bouleversé, comme foudroyé ; son cœur s’était arrêté de battre, son regard s’était fixé, au milieu d’une foule de travailleurs emportés par leur pas hâtif, sur un homme qu’il ne quittait plus, c’était Mor-Zamba ! C’était son frère. Il courut, il appela, il s’approcha tant que Mor-Zamba le vit, voulut lui faire signe, sourire, peut-être répondre à son salut ; c’était interdit en semaine : dans les rangs, les travailleurs devaient s’abstenir de toute communication avec les civils. Mor-Zamba venait d’enfreindre une consigne impérative[7].
…… Deux premiers essais marquent la fin de ce deuxième moment. Il s’agit de Lettre ouverte aux Camerounais[8] et La France contre l’Afrique. Retour au Cameroun[9]. Dans ces deux essais, il existe une rhétorique de la dénonciation quasi obsessionnelle chez l’écrivain camerounais. En effet, sa plume se nourrit de tous les dysfonctionnements qu’il constate au quotidien et qu’il décide de dénoncer, d’exposer au grand jour. Dans Lettre ouverte aux Camerounais, il critique violemment le nouveau président de la République camerounaise, Paul Biya. Selon lui, Paul Biya ne représente pas l’espoir de changement et de libération que Mongo Beti espérait pour son pays, surtout après les ravages du régime dictatorial d’Ahmadou Ahidjo (1960 -1982).
…… Le deuxième essai, La France contre l’Afrique. Retour au Cameroun, est un espace au sein duquel l’écrivain se propose de décrypter la société camerounaise et ses composantes notamment grâce à ses propres expériences. L’essai est un témoignage émaillé de réflexions personnelles à propos de l’éducation encore peu soutenue par le gouvernement, la démographie en croissance mais qui ne bénéficie d’aucun contrôle, les institutions publiques telles que l’université à l’abandon, la police, intégralement corrompue et autant d’autres problèmes. Cette situation serait imputable, entre autres, à la France, dont l’omniprésence sur le territoire a des effets catastrophiques d’où le titre.
…… Mongo Beti cherche et entretient la polémique et les critiques sont unanimes pour le décrire comme un pamphlétaire[10] redoutable et infatigable, un enfant terrible[11], un rebelle[12], un « proscrit admirable »[13]. C’est que, pour lui :
L’écriture n’est plus en Europe que le prétexte de l’inutilité sophistiquée, du scabreux gratuit quand, chez nous, elle peut ruiner des tyrans, sauver les enfants du massacre, arracher une race à un esclavage millénaire, en un mot, servir. Oui, pour nous, l’écriture peut servir à quelque chose, donc, doit servir à quelque chose[14].
…… Il donne par la même occasion à son écriture une valeur documentaire et se confie plusieurs missions : celles de témoin, de conservateur du devoir de mémoire et de transmission:
Il faut nécessairement que nous la racontions, cette histoire-là. A nos enfants d’abord, parce que c’est un devoir de se transmettre de génération en génération les histoires sans lesquelles il n’y a pas d’histoire ni de mémoire collective. Il faudra bien que nous racontions cette histoire aux autres peuples ensuite, et surtout à leurs gouvernements, car une société régénérée par une révolution, comme celle que nous vivons, qui aura tout chamboulé, se doit de fonder sa légitimité internationale en invoquant le long martyre subi, le sacrifice de ses enfants les meilleurs, l’exil des autres, les larmes des mères[15].
…… Le romancier et essayiste conserve toutefois l’espoir que les choses sont en passe de changer : « J’affirme encore une fois que l’Afrique peut se développer, qu’elle va se développer»[16]. C’est plein de cet espoir que Mongo Beti décide, après avoir pris sa retraite de professeur, de s’établir définitivement au Cameroun en 1994. Ce retour marque la dernière partie de la carrière littéraire et politique.
Notes et références :
[1]Peuples Noirs, Peuples Africains, N° 1 (1978), 1-26.
[2]« Oui, j’ai été, et je crois que je suis encore profondément upéciste [Union des Populations du Cameroun]. J’ai vécu en ayant pour modèle M feu Ruben Um Nyobe. Pour moi, ça a été le grand homme de ma vie. J’ai admiré son sacrifice, son dévouement, sa lucidité et sa vision. Le parti qu’’il avait créé était pour moi une chose sacrée, une chose ou je me sentais chez moi ». Mongo Beti, « L’appel des intellectuels » (En collaboration), in Le Messager, Douala, no 588, du 24 février, 1997, p. 6-7.
[3] On signale également que dans le titre de son deuxième essai, Lettre ouverte aux Camerounais ou la deuxième mort de Ruben Um Nyobe, se trouve le nom du nationaliste camerounais.
[4] André DJiffack, La quête de la liberté chez Mongo Beti, écrivain africain, University of Cape Town, juillet 1998, p.221
[5] Ce qui distingue les derniers romans de Mongo Beti de ses précédents est la présence d’un élément utopique, la suggestion qu’il existe des alternatives à l’oppression, et la croyance qu’il a trouvé des stratégies révolutionnaires appropriées pour les atteindre. Plus que le progrès technologique, les Africains ont besoin d’une libération psychologique. Plutôt que de se concevoir comme les victimes impuissantes ou les complices passifs d’une race supérieure, ils doivent se forger une image d’eux-mêmes en tant que peuple capable de prendre une initiative historique et de bénéficier des fruits de leur propre travail. Notre traduction.
[6] André Djiffack, ibid, p. 40.
[7] Mongo Beti, Remember Ruben, Paris, Le Serpent à plumes, 2001, (publication originale 1974).
[8] Mongo Beti, Lettre ouverte aux Camerounais ou, La deuxième mort de Ruben Um Nyobé, Rouen, Ed. des Peuples Noirs, 1986.
[9] Mongo Beti, La France contre l’Afrique. Retour au Cameroun, Rouen, Ed. Des Peuples noirs, 1986.
[10] Ambroise Kom, Mongo Beti parle, 2006, Ed. La Découverte, 2006.
[11] Philippe Bissek, Mongo Beti à Yaoundé, Rouen, Ed. Des Peuples Noirs, 2005, p.12.
[12] André Djiffack, Mongo Beti Le Rebelle, Paris, Ed. Gallimard, Coll. Continents Noirs, 2008.
[13] Oscar Pfouma, Mongo Beti, Le Proscrit Admirable, Paris, Menaibuc, 2004.
[14] Mongo Beti, « Choses vues au Festival des arts africains de Berlin-Ouest (du 22 juin au 15 juillet 1979) », in Peuples Noirs, Peuples Africains, N°11, septembre- octobre 1979, p.91.
[15] Mongo Beti, « L’exil après l’exil» in Peuples Noirs, Peuples Africains, N° 80 (1991) 110-126, 1991.
[16] Mongo Beti, La France contre L’Afrique : retour au Cameroun, Paris, Ed. La Découverte,1993., p.197.
Main basse sur le Cameroun : autopsie d’une décolonisation, 1972.
Perpétue et Biographie du malheur, 1974.
Peuples noirs, peuples africains, 1978 – 1991
La Ruine presque cocasse d’un polichinelle : Remember Ruben 2, 1979
Les Deux Mères de Guillaume Ismaël Dzewatama, futur camionneur, 1983
La Revanche de Guillaume Ismael Dzewatama, 1984
Lettre ouverte aux Camerounais, ou, La deuxième mort de Ruben Um Nyobé, 1986
Dictionnaire de la négritude avec Odile Tobner et la participation de collab. de la revue Peuples noirs – Peuples africains, 1989
La France contre l’Afrique : retour au Cameroun, 1993
Le retour d’exil
1994 – 2001
…… Le retour au Cameroun de Mongo Beti lui permet d’avoir une position privilégiée d’observateur et d’analyser de l’intérieur la société camerounaise. Il livre le résultat de ses observations dans les œuvres qui vont paraître à partir de 1994[1]. Par conséquent, le troisième moment de la carrière de Mongo Beti est caractérisé par un double regard qui trouve un point de jonction entre sa qualité de combattant et sa condition d’exilé de retour dans son pays natal[2].Ce moment est constitué d’œuvres qu’Yvonne Marie Monkam range dans la catégorie des œuvres « post-retour d’exil »[3]. Il s’agit de : L’Histoire du fou (1994), Trop de soleil tue l’amour (1999) et Branle-bas en noir et blanc (2000).
……Dans ces œuvres, il fait plusieurs constats : d’abord, la société dans laquelle il revient est totalement différente de celle qu’il a connu avant son départ. En effet, certaines valeurs qui ont forgé son éducation durant la période coloniale ont été bouleversées et il ne s’y reconnait plus. L’écrivain, à la question de savoir si dans ses précédents romans il ne livrait pas une vision romantique de l’Afrique en général et du Cameroun en particulier, déclare : « c’est une vision extrêmement romantique. J’ai vécu trop longtemps en France. Et j’ai pendant longtemps idéalisé mon pays. Il a fallu que je revienne au Cameroun, que j’y vive, pour découvrir l’autre vision de l’Afrique. Oui, j’ai eu pendant longtemps la mentalité du militant anti-colonialiste, du militant noir […] : le bon Noir opprimé par le méchant Blanc […]. Et c’est lorsque je suis retourné en Afrique, que je me suis aperçu que nous sommes pour moitié responsables de nos malheurs. »[4]; ensuite, l’échec de la décolonisation et de l’indépendance a eu une grande incidence sur les populations. Il s’agit de constats qui avaient déjà fait l’objet d’un développement thématique dans ses œuvres antérieures qui prennent un sens plus dense à l’intérieur du pays. La réalité est bien plus difficile à vivre : la société africaine dans son ensemble, pas seulement le Cameroun, est complètement éclatée et la manière avec laquelle les indépendances ont été gérées semble inadaptée.
……Avec ces romans, notamment avec L’Histoire du fou[5], on assiste à un tournant dans l’écriture de Mongo Béti. Les techniques narratives, la construction des personnages et la démarche allégorique qui s’y déploient créent un décalage entre l’œuvre et ses œuvres précédentes. Ils feront l’objet d’un développement approfondi dans notre travail. Il faut d’emblée noter que ces nouveaux mécanismes d’écriture sont marqués par une prise de conscience de l’écrivain sur la situation. Elle est totalement éloignée de l’image qu’il s’est faite du continent et de son pays lorsqu’il était en exil. Le décalage s’exprime également en termes de vision pour l’avenir du continent. Celle-ci semble en effet plus pessimiste. Par conséquent, L’Histoire du fou semble projeter une vision désenchantée[6] de l’issue du combat pour les peuples africains colonisés. C’est du moins ce qui ressort de l’extrait suivant :
.Sur le terrain et dans les faits, l’Afrique, minée par le népotisme inséparable des tyrannies, était de surcroît saignée à blanc par l’évasion massive des capitaux, rongée par l’abjection devenue quasi institutionnelle des élites corrompues, dévorées par le gaspillage de ses ressources qui mettait le continent à la merci de l’étranger à l’affût. La conjugaison de ces cancers annonçait à terme la métastase et sans doute le coma. Mais personne ne semblait pouvoir s’aviser décès tristes réalités vécues quotidiennement par les populations. (p.16-17)[7]
……A la lecture de cet extrait, on constate que la comparaison avec le « cancer » et tout le vocabulaire de l’ordre de la maladie incurable introduit une dimension fataliste à une destinée à laquelle les Africains semblent ne pas pouvoir échapper. L’aspect « quasi institutionnel » des dérives que sont « l’évasion massive des capitaux » et la corruption des « élites » semblent exprimer d’une forme de désillusion de la part de l’auteur. Ici, l’impression qui se dégage est que l’écrivain ne fait que constater que les dérives font désormais partie des habitudes du paysage politique et économique du pays sans sembler pour autant les dénoncer explicitement. L’auteur introduit ici une différence avec son écriture qui avait jusqu’à ce roman une fonction dénonciatrice. Il est par conséquent juste de se demander ce qui provoque ce changement dans les mécanismes d’écriture auxquels le lectorat était habitué. L’hypothèse que nous formulons est que l’HF illustre un désenchantement de la part de Mongo Beti et un renoncement à l’engagement qui constituait jusqu’en 1994 le socle de son écriture. Pour Cilas Kemedjio, La littérature engagée se définie comme
Une écriture qui a pour vocation de transformer des conditions socio-économiques et politiques données. […] L’écrivain engagé récuse le réel, le saisit dans sa négativité, alors que son texte invente, en contrepartie, la positivité du monde à réaliser[8].
……En d’autres termes, une œuvre est engagée lorsqu’elle consiste pour un écrivain à y défend une cause éthique, politique, économique, sociale ou religieuse. Cette œuvre se positionne en dissonance avec une réalité que l’auteur juge négative. Dans une œuvre engagée, il s’agit donc pour l’écrivain de diffuser un message, une sorte d’appel à la réalisation d’un monde plus positif, une proposition à une meilleure alternative aux troubles remarquées et dénoncées.
Notes et références :
[1] Nous soulignons le fait que ses précédents, textes publiés avant 1994, avaient tous été rédigés à l’extérieur du continent
[2]« Depuis lors, le prophète de l’exil d’hier est aux prises avec les réalités du terrain. Le théoricien de la libération, longtemps exilé, confronté aujourd’hui ses vues à l’épreuve des faits, aussi bien sous l’angle de libraire à Yaoundé, d’artisan dans son village Akometam, d’homme ressource des journaux paraissant au Cameroun, qu’en sa qualité d’infatigable militant politique ». André Djiffack, La quête de la liberté, ibid, p.101.
[3] Yvonne Marie Monkam, L’Œuvre post-retour d’exil de Mongo Beti, The University of Arizona, 2009.
[4] Mongo Beti, cité par Boniface Mongo- Mboussa, Désir d’Afrique, Paris, Gallimard, 2001, p.73.
[5] En abrégé L’HF dans notre travail.
[6] Le désenchantement se définit par la perte d’une illusion, l’état d’une personne qui se désenchante en découvrant une réalité dépouillée de son caractère charmant et mystérieux. Trésor de la langue française informatisée.
[7] Les citations suivies de p. renvoient à notre ouvrage de référence Mongo Beti, L’Histoire du fou, Paris, Julliard, 1994.
[8] Cilas Kemedjio, « Traversées francophones : littérature engagée, quête de l’oralité et création romanesque » in Tangence, Numéro 82, automne 2006, p. 18.
Trop de soleil tue l’amour, 1999
Branle-bas en noir et blanc, 2000
Toutes les oeuvres de Mongo Beti
- Sans haine et sans amour, 1953.
- Ville cruelle (publié sous le pseudonyme Eza Boto), 1954
- Le Pauvre Christ de Bomba, 1956.
- Mission terminée, 1957.
- Le Roi miraculé : chronique des Essazam, 1958.
- Main basse sur le Cameroun : autopsie d’une décolonisation, 1972.
- Perpétue et Biographie du malheur, 1974.
- Remember Ruben, 1974.
- Peuples noirs, peuples africains, 1978 – 1991 : http://mongobeti.arts.uwa.edu.au/index.html
- La Ruine presque cocasse d’un polichinelle : Remember Ruben 2, 1979.
- Les Deux Mères de Guillaume Ismaël Dzewatama, futur camionneur, 1983.
- La Revanche de Guillaume Ismael Dzewatama, 1984.
- Lettre ouverte aux Camerounais, ou, La deuxième mort de Ruben Um Nyobé, 1986.
- Dictionnaire de la négritude avec Odile Tobner et la participation de collab. de la revue Peuples noirs – Peuples africains, 1989.
- La France contre l’Afrique : retour au Cameroun, 1993.
- L’Histoire du fou, 1994.
- Trop de soleil tue l’amour, 1999.
- Branle-bas en noir et blanc, 2000.
Ouvrages sur Mongo Beti
- Mongo Beti à Yaoundé, textes réunis et présentés par Philippe Bissek, 2005.
- Africains si vous parliez, 2005.
- Mongo Beti parle : Testament d’un esprit rebelle, 2006.