RAPPORT DE TRAVAUX PRATIQUES, ATELIER DE THEATRE DU DEPARTEMENT DE FRANÇAIS DE L’UNIVERSITE DE GENEVE Semestre Automne 2013

Durant le semestre d’Automne, les participants de l’ATDF l’atelier théâtre du département français ont travaillé sur le texte Juste la fin du monde[1] (1990) de Jean-Luc Lagarce. C’est une œuvre choisie principalement pour les diverses possibilités qu’elle offre en terme de mise en scène du fait de la grande liberté choisie par l’auteur dans son écriture.
Dans cette pièce, il s’agit de Louis âgé de 34 ans qui rend visite à sa famille dans le but de leur annoncer une terrible nouvelle : celle de sa mort prochaine. Cependant, son retour va réveiller des souvenirs et soulever de vieilles tensions au sein de ses membres, sa mère, 61 ans, sa sœur Suzanne, 23 ans, son frère Antoine, 32 ans, et sa belle-sœur Catherine, 32 ans. L’annonce qu’il voulait leur faire s’avère plus compliquée que prévue. Il repartira sans avoir l’avoir faite.
Avec un groupe d’étudiants, nous avons travaillé sur la deuxième scène de la première partie, pp 29-35. Dans cette scène, Louis, Catherine, Antoine et la Mère sont en pleine discussion. Catherine, dans une longue tirade, s’excuse auprès de Louis parce que ses enfants sont absents et qu’il n’a pu les voir, vu qu’elle ignorait qu’il venait. Dans la scène précédente, elle faisait effectivement connaissance avec lui pour la première fois depuis son mariage avec Antoine, frère de Louis. Dans l’ensemble de l’œuvre et plus particulièrement dans ce passage, la question de la communication est particulièrement mise en exergue. Cet exercice présente une grande difficulté pour chacun des personnages qui ont tous quelque chose à transmettre mais soit usent de moyens détournés pour cela, soit ne disent rien comme dans le cas de Louis. En fait, derrière l’excuse de Catherine, se cache un reproche à peine voilé : Louis a été absent trop longtemps. Or en son absence, divers évènements et divers changements se sont produits, ce que Catherine s’empêche de narrer. Mais Antoine, le mari de Catherine, est exaspéré par son récit et le fait savoir. Le ton monte et Louis finit par manifester son malaise. C’est donc autour du malaise, provoqué par le retour brusque de Louis, que nous avons choisi de construire notre travail. Nous allons essayer de montrer de quelle manière ce malaise s’exprime dans le texte sous sa forme écrite et quelles dispositions nous avons tenté de prendre pour parvenir à le représenter lors des exercices de travaux pratiques, quelles observations ont été faites au fur et à mesure de ces exercices et quelles étaient nos limites.
Le retour de Louis dans la famille met tous les membres de sa famille dans une situation pour le moins inconfortable. Pour Joël July dans son article « Question de Lagarce », « À l’époque où il écrit, Lagarce reprend après bien d’autres, la question de la possibilité et de la nécessité de dire ; après bien d’autres, il bute sur les difficultés de la parole[2] ». C’est ce que l’on ressent à la lecture de ce passage en termes déjà de répartition de la parole. Louis a un message à transmettre ce qu’il ne parvient pas cependant à faire à cause d’une part de Catherine. Celle-ci se lance dans une longue diatribe, use de circonlocutions[3] pour s’excuser de détails de la vie familiale et monopolise ainsi la parole. Ses tirades sont teintés de maladresse « Qu’est-ce que je pourrais ajouter » p. 31, certaines phrases sont incomplètes ou du moins l’idée exprimée dans une phrase n’est pas développée dans l’immédiat textuel mais des lignes plus loin : « Et puisque vous n’avez pas d’enfant, puisque vous n’aurez pas d’enfant, il aurait été logique, nous le savons... /ce que je voulais dire [...] il paraissait logique/ nous nous sommes dit ça que nous l’appelions Louis » p 34 -35?-». On retrouve ici l’un des moyens pour figurer le malaise, en dehors des allusions et des sous-entendus, omniprésents dans l’œuvre : Catherine fait usage d’épanorthose[4], procédé qui dénote le manque de confort et de sûreté de la part de celle-ci « Nous vous avions, avons, envoyé une photographie d’elle » p 30 et le fait qu’elle en dit plus qu’elle ne l’exprime verbalement ; Les mots sont sous les mots : « Je ne déteste pas ce prénom » p 34, Elle s’interroge sans cesse sur les intentions des autres « Ils auraient été heureux de vous voir, cela on n’en doute pas une seconde, -non ? » p 29. De cette manière, elle parvient à fournir quelques informations méconnues du spectateur: l’histoire du prénom de son premier fils, la raison pour laquelle il porte ce prénom, ce que cela cache.
En ce qui concerne le rythme, les tirades de Catherine dominent largement le passage et ont pour effet de suspendre le dialogue entre les personnages. Ceci entraîne, en termes de tempo, un ralentissement dans la continuité du texte ; Ici, il a fallu déterminer à quel rythme irait la comédienne interprétant Catherine quand elle parlerait. De lent, dans les tous premiers débuts de l’exercice en public, à plus rapide, ce rythme se rapproche plus de l’aspect « conversation » qui caractérise la pièce de Lagarce.
Quant à Antoine, son mari, même si au début, il garde le silence devant le flot de parole de son épouse, il finit par être exaspéré et le montre clairement. Son exaspération est plus la marque d’une gêne causée par la présence de Louis, gêne qu’il préfère attribuer au comportement de Catherine: «Elle est troublée/ elle te connaît à peine et elle est troublée/Catherine est comme ça. « Je n’ai rien dit. » p 31-32. De nouveau, une insistance qui peut paraître bien lourde pour la situation mais qui masque, en fait, une sorte de frustration de la part d’Antoine lequel ne sait pas exprimer ses sentiments; alors il dirige sa colère sur sa femme à qui il en veut de tout raconter : « laisse-ça, ça ne l’intéresse pas » p.30. Au milieu de sa mère et de sa femme qui ne cessent de renchérir l’une et l’autre à propos du comportement d’Antoine, ce dernier ne sait pas où se mettre. La trop longue absence de Louis et son retour brusque de nouveau crée ce malaise chez Antoine et des difficultés à dire le non-dit; face à son frère, il n’a pas vraiment d’explication à donner quant aux changements survenus dans le paysage familial en l’absence de Louis. Antoine s’excuse également, conjecturant des reproches de la part de son frère « mais tu restes l’aîné, aucun doute là dessus » p. 35, seulement à la toute fin du passage. Dans cette scène qui intervient en second dans l’œuvre, on a un net aperçu des tensions qui règnent entre les frères, tensions qu’il faut pouvoir mettre en évidence lors de la représentation. Ici, la possibilité est offerte d’exploiter non seulement le langage verbal mais aussi le langage non-verbal tel qu’il sera imaginé, ressenti et représenté par les comédiens pour figurer ce malaise, cette tension. À ce propos, Eric Eigenmann affirme que « prononcer ne serait-ce que quelques mots dans une situation donnée ne se limite pas à transmettre une information: c'est en soi accomplir une action, qui provoque un effet ... C'est au fur et à mesure des interventions verbales que les positions et les relations des personnages se modifient, que l'action progresse, que l'univers diégétique évolue. »[5]
La Mère a peu de répliques dans ce passage. Elle commente ou appuie les « analyses » de Catherine. Elle pourrait avoir ici une forme de fonction de régie[6] en ce qu’elle tente de clarifier la situation auprès des trois autres personnages : « Elle parlait de Louis, Catherine, tu parlais de Louis, le gamin » p 32 ou encore « Il plaisantait, c’est une plaisanterie qu’il a déjà faite »p 33. Elle peut sembler légèrement en retrait par rapport à la situation mais ses commentaires accentuent le malaise qui est celui des personnages. L’absence de Louis a fait de ce dernier un étranger à qui il faut tout expliquer. Même si la Mère semble mise à l’écart de la conversation (aucun personnage ne lui répond directement), elle parvient tout de même à formuler sa pensée[7], sans toutefois aller jusqu’au bout.
Quant à Louis, même s’il ne parle pas beaucoup dans ce passage, il est le seul à désigner des situations complexes, parfois d’une manière qui, pour nous, semble plutôt candide, mais qui touche des points sensibles de la situation familiale : « Il y a aussi un petit garçon qui s’appelle comme moi, Louis ? » p. 31 Question qui interrompt le verbiage de Catherine et installe le malaise « Je vous demande pardon », dit celle-ci. Comme son mari, elle tente de se dédouaner d’avance en prévision d’un reproche non formulé ; attitude qui, en soi, est une caractéristique du malaise régnant.
De même, lorsque Antoine et Catherine se disputent, Louis va de nouveau employer des mots très simples pour décrire la situation « tu m’as mis mal à l’aise » p. 32. Ce qui met Antoine en position inconfortable, position dont il veut se défaire par le déni « Je n’ai rien dit ! », par la mauvaise foi « Je m’excuse, ça va là, je m’excuse[8]. » p.33 ou encore par la plaisanterie, qu’il utilise pour détourner Catherine de son récit et Louis de l’écoute attentive de ce récit « Je plaisantais /on ne peut pas plaisanter » p 33. En se dédouanant de cette manière, Antoine met au jour une culpabilité qui n’est pas celle provoquée par la dispute, mais par la présence même de Louis (retour qu’il ressent comme une agression « cela va encore être de ma faute » p. 32).
Louis, absent trop longtemps, a pratiquement été oublié par l’ensemble de la famille; également, son orientation sexuelle (les paratextes nous apprennent qu’il est homosexuel) ne lui permettra pas de perpétrer la race et par conséquent, son rôle d’héritier ne sera pas rempli. On peut comprendre que, Antoine, qui semble avoir pris le relai en tant qu’ « aîné », n’apprécie pas le verbiage de Catherine. Lorsque Louis demande: « Comment est-ce que vous avez dit ? « L’héritier mâle ? » p. 35, Antoine réagit avec colère: « Mais merde, ce n’est pas de ça qu’elle parlait »[9] p.35. La colère est une arme de prédilection chez celui-ci pour fuir la situation désagréable. On le constate, la difficulté de communiquer a une place prépondérante dans l’œuvre de Lagarce.
On peut se poser des questions sur l’intérêt de Louis pour l’histoire narrée par Catherine, si cet intérêt est réel ou feint, question que pose Antoine « cela t’intéresse ? » p.32, question à laquelle la représentation pourrait répondre, au niveau de la gestuelle du comédien qui interprèterait Louis. C’est d’ailleurs l’une des grandes difficultés rencontrées au cours de nos exercices de travaux pratiques, parce que, ici, nous avons eu affaire à plusieurs cas de figure. En effet, de quelle manière pouvions-nous représenter un Louis qui serait dans le premier cas, réellement intéressé par le récit de Catherine, dans le second, feindre un intérêt et dans le troisième cas en être complètement désintéressé ?
Enfin, accusations et conflits renaissent en présence d’un tiers, ce qui contribue à appesantir le climat de malaise : « Ce que je voulais dire:/ mais puisque vous n’avez pas d’enfant/ et Antoine dit ça, / tu dis ça, tu as dit ça / Antoine dit que vous n’en aurez pas ».
Lors du travail pratique, il a donc fallu résoudre un certain nombre de problèmes dans le but de représenter ce malaise. Dans un premier temps, il nous a fallu aborder la question des adresses, puis tenter de faire une sorte d’ « historicisation »[10] familiale et l’intégrer (pour pouvoir en prendre de la distance) à l’aide des pistes que fournissent les sous-entendus qui nombreux dans le texte. Enfin, nous nous sommes penchés sur la mise en espace du texte et diverses propositions ont été faites commentées par les participants à l’atelier.
En ce qui concerne les adresses[11] : les pronoms ne sont pas facilement rattachable à tels ou tels personnage comme c’est le cas avec le pronom personnels « ils » qui désigne un référent absent[12]; Egalement, Lorsque Louis déclare : « excuse-moi, excusez-moi » une question qui illustre parfaitement ce problème de la détermination des adresses s’impose à nous : s’adresse-t-il seulement à Antoine avec le tutoiement, seulement à Catherine en la vouvoyant ou au deux avec le « vous »? Sur le même plan, certains passages dans les tirades d’Antoine offrent plusieurs possibilités de jeu quand on en vient à la question des adresses. Le même énoncé « Catherine est comme ça » peut être dit en direction de Louis ou en direction du public. Les deux propositions ont été faites lors des travaux pratiques. Pour Anne Temler[13], l’affirmation du corps est la clé dans ce type d’exercice. Pour bien marquer qu’il s’adressait au public, l’interprète d’Antoine devait pivoter d’un quart et se mettre soit face au public ou face aux comédiens dans l’une ou l’autre situation.
C’est le texte qui va nous fournir les clés des adresses. La situation d’énonciation permet de rattacher ce « ils » problématique aux enfants de Catherine. C’est aussi le travail du metteur en scène de décider à qui est destiné le « vous ». Pour ce qui est de la distribution de la parole, Catherine dans un premier temps raconte l’histoire à Louis ce que l’on comprend au moment où il désapprouve l’interruption et le propos d’Antoine : « je ne sais pas pourquoi il a dit ça, je n’ai pas compris [...] c’est méchant » p.31. Puis ; c’est au tour de son mari de prendre le relai de l’échange. A l’échange pondéré et mené par Catherine dans le premier couple (Louis – Catherine), s’oppose le combat sur le plan de la parole entre Antoine et Catherine. Ici, les répliques se répondent, s’enchaînant et provoquant quelquefois du comique : « les rois de France ». On a presque affaire à un échange sur le mode de la stichomythie (p33) qui met au jour les tensions entre le couple.
Dans tous les cas, nous nous sommes décidés pour un dialogue entre Catherine et Louis, interrompu plusieurs fois par Antoine et la Mère, puis un échange franc cette fois-ci entre Antoine et Catherine (ils se désignent mutuellement par leur prénom) duquel Louis serait exclu, puisque la fonction de régie de la Mère fournit une certaine complicité avec le couple, même si personne ne s’adresse directement à elle. Antoine et Louis ne communiquent pas vraiment si ce n’est pour des reproches « pourquoi est-ce que tu as dit ça ? » p. 31 ou une agression ironique à peine masquée « Cela te plaît ? » puis sans attendre de réponse : « Cela lui plaît, il est passionné, c’est un homme passionné par cette description de notre progéniture » p. 32.
Déterminer qui s’adressait à qui a offert la possibilité d’une tentative d’historicisation familiale. De même, l’analyse des sous-entendus contenus dans le passage nous a permis d’étudier plus précisément le sens profond du malaise omniprésent. Comme dit précédemment, c’est surtout Catherine qui fait fonction de narratrice : la longue absence de Louis a eu des incidences irréversibles sur l’histoire familiale. Le prénom donné par tradition au fils aîné du fils aîné a été donné au fils aîné du deuxième enfant. Comme précédemment signalé, nous nous sommes figurés que Catherine a une tendance au remplissage vocal et que cela n’est pour plaire à Antoine.
Nous avons imaginé que cette attitude de Catherine était un sujet de tension dans le couple mais qu’ils y étaient habitués (Catherine précise : « JE raconte » p.33). Nous avons pensé à un rituel avec ses codes et ses lois, une scène de ménage récurrente, d’où les explications de la Mère et le malaise de Louis, absent trop longtemps, n’a jamais assister à l’une de leur dispute : ici on a une sorte de mise en abyme du discours, avec en spectateur principal et attentif Louis et par conséquent, deux niveaux d’énonciation, niveaux distinguables seulement au moment de la représentation. Ceci rejoint le propos de Anne Ubersfeld[14] pour qui une œuvre a besoin de composer avec les conditions concrètes de sa représentation. Une œuvre pour qu’on puisse pleinement avoir accès à son sens, doit pouvoir être représentée. C’est lors de la représentation que pourront apparaître comme concrètes certains enjeux, certaines données pas souvent visibles à la lecture[15].
Cette tentative d’historicisation se rapprocherait du système Stanilavsky (ou encore la Méthode) expliqué par l’auteur Constantin Stanilavsky dans son ouvrage La formation de l'acteur[16]. C’est un système qui permettrait au comédien de « maîtriser la technique de l'acteur et stimuler sa créativité individuelle et son imagination.»[17]. Ce système, laisse plus de marge à une technique de jeu naturaliste lequel diffère d’un jeu figuratif. Il s’agit en fait pour le comédien, d’utiliser son propre vécu pour parvenir à interpréter un personnage, et d’utiliser de manière la plus naturelle possible, les gestes ou les attitudes correspondantes et qui referaient surface de manière quasi-inconsciente. C’est ce système que Anne Temler nous as recommandé d’essayer au travers de l’improvisation[18]. Pour le personnage de Louis, par exemple, que j’interprétais, il n’était pas difficile de manifester mon malaise poli puisque j’ai déjà assisté à des scènes de cet ordre à plusieurs reprises chez des parents, des amis, etc.
Sur la question de la mise en espace, d’emblée, cette scène s’ouvre sur Catherine qui commence immédiatement un discours par « Ils sont chez leur grand-mère. » Ici, pas de didascalie pour marquer cette transition, aucune précision textuelle quant au lieu ni quant à la situation d’énonciation. Est-ce un dîner, un souper ? Aucune information n’est donnée quant aux personnages présents dont on ne connaît d’ailleurs ni les entrées, ni les sorties. On ne sait rien du contexte qui installe les personnages dans cet espace.
Ceci est d’ailleurs caractéristique de la quasi-totalité de l’œuvre : une seule didascalie est donnée au tout début, avant le prologue[19]; cette didascalie est elle aussi teintée de mystère puisque l’adverbe de comparaison « ou » est placé au milieu de deux prépositions pour signifier les diverses possibilités temporelles offertes : « un dimanche ou une année encore. » Cependant, Lagarce résout ce problème en incluant dans son travail des didascalies internes, c'est-à-dire, «des éléments servant à établir la situation d’énonciation, les répliques ne cessent d’en suggérer chaque fois qu’un personnage se réfère à son environnement ou aux êtres qui l’habitent ». Antoine donne une indication quand au fait que Catherine le regarde: « Mais tu ne me regardes pas comme ça, tu ne continues pas à me regarder ainsi ». Mais quand à la manière qu’elle a de le regarder, on n’en sait pas plus. Ici, entre en jeu un metteur en scène qui va, en expliquant au comédien quel regard celui-ci devrait avoir, effectuer de la sorte ce que Ubersfeld appelle « combler les trous » (Ubersfeld). L’absence de didascalies permet une certaine liberté dans la représentation.
Lors des premiers passages de notre groupe, nous avons positionné Catherine (à gauche) et Louis (au centre) l’un près de l’autre assis sur une chaise ; Antoine était placé devant une fenêtre et avait l’air ailleurs. La Mère était figurée totalement en retrait, dans une cuisine ouverte où elle serait entrain d’accomplir quelque tâche ménagère. A ce propos, Ces positions permettaient de figurer dans un premier temps le rapport entre les personnages : au centre un Louis poli et courtois qui se retrouve au milieu d’une dispute familiale et ne sait que faire, à gauche, Antoine en complète contradiction avec ce qui se passe entre sa femme et son frère et à l’arrière une mère en retrait qui intervient sans qu’on ne lui ait demandé et introduisant une rupture dans la structure triloguale. Cette configuration nous permettait d’avoir un Louis spectateur qui bougeait la tête de gauche à droite et vers l’arrière, au rythme des échanges entre Antoine et Catherine et les interventions de la Mère.
Puis nous avons essayé de nous figurer un Louis à deux têtes, ce qui nous permettait de montrer aussi ce qui se produisait dans son univers intérieur et de marquer le contraste entre l’intérêt feint et l’intérêt réel tout en gardant la première configuration. Comme signalé plus haut, interpréter ce personnage précisément dans ce passage, s’est révélé plutôt difficile, en ceci qu’il semblait avoir un comportement variant et impossible à préciser, du début à la fin du passage. Plusieurs propositions ont été faites : nous avons essayé de le représenter sous les traits d’un personnage sûr de lui, puis, nous avons essayé de montrer que son intérêt était vraiment réel, puis feint (et dans le cas du Louis à deux têtes, l’intérêt était feint ET réel).
C’est finalement sur les indications d’Anne Temler que nous avons opté pour un Louis plutôt courtois, poli, feignant l’intérêt mais sans le montrer trop ouvertement. C’était un Louis qui pouvait manifester son mécontentement mais sans agressivité, malgré la relative méchanceté de Antoine, l’amertume de la Mère et la gêne de Catherine. Mais comme M. Eigenmann nous l’as fait remarqué lors de la dernière représentation, l’accentuation d’un mouvement figurant une attitude[20] est l’une des meilleures options d’améliorations pour les apprentis comédiens que nous sommes.
Enfin, et sur les indications d’Anne Temler, nous avons modifié nos positions, nous figurant, dans une démarche mimétique un repas de famille : Louis se tenait au centre encadré par Antoine et Catherine qui se tenaient assis à sa gauche, tandis que la Mère se tenait à sa droite, un journal à la main. Ceci nous a permis de restreindre l’atmosphère et d’essayer de mettre au jour le malaise, en tentant de le rendre le plus vraisemblable possible. Cette démarche mimétique correspond à la mimésis aristotélicienne qui entre autre manières de représenter les choses, est la représentation des choses telles qu'on les dit ou telles qu'elles semblent être[21].
Le travail mené sur cette scène a mis en lumière un certain nombre de difficultés tant sur le plan textuel que sur celui de la représentation. C’est un travail qu’il a fallu mener par étape. Tout d’abord, il fallait comprendre le système des adresses, puis tenter de comprendre les liens entre les personnages et enfin se situer dans l’espace dans le but de figurer le malaise au cœur de la scène deux de Juste la fin de monde de Lagarce. Si le texte en lui-même semblait fournir toutes les clés pour y parvenir, cet exercice, en pratique, s’est avéré plus compliqué que prévu. La difficulté résidait principalement dans le rapport parole et gestuelle, rapport que nous n’avons pas vraiment pu établir à la fin de l’atelier. Cependant, cette difficulté témoigne plus de la profondeur du texte de Lagarce qui parvient, à l’aide d’une situation courante, à écrire une idée abstraite et à conserver l’atmosphère oppressante constante dans toute l’œuvre.
BIBLIOGRAPHIE
CORPUS:
- Lagarce, Jean-Luc, Juste la fin du monde, préface de Jean-Pierre Sarrazac, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2012, p. 7.
ARTICLES
- Ubersfeld, Anne, "Le jeu des classiques, réécriture ou musée", Les Voies de la création théâtrale, n° 6, CNRS, 1978, p. 181-192.
COURS
- Eric Eigenmann, cours Méthodes et problèmes, « Le mode dramatique », département de français moderne, 2003.
- Kaempfer, Jean & Zanghi, Filippo, Méthodes et problèmes « La voix narrative » Section de Français, Université de Lausanne© 2003
OUVRAGES THEORIQUES
- D'Aubignac, Abbé F. H. (1657), La Pratique du théâtre. Paris: Champion, 1927.
- Hutier, Jean Benoît, L’Illusion comique, Paris : Hatier, 2006.
- Naugrette, Catherine, L’esthétique théâtrale, Paris, Armand Colin, 2010.
- Stanislavski, Constantin, La formation de l'acteur et la construction du personnage, Paris : Pygmalion, 1986.
WEBOGRAPHIE
- http://fr.wikipedia.org/wiki/La_formation_de_lacteur
- Http://www.unicaen.fr/puc/revues/thl/questionsdestyle/print.php?dossier=dossier9&file=05july_himy.xml.
- http://fr.wikipedia.org/wiki/La_formation_de_lacteur.
[1] Lagarce, Jean-Luc, Juste la fin du monde, préface de Jean-Pierre Sarrazac, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2012.
[2]Http://www.unicaen.fr/puc/revues/thl/questionsdestyle/print.php?dossier=dossier9&file=05july_himy.xml consulté le 17 janvier 2014.
[3] Selon le Trésor de la langue française, « détours de langage qui, en évitant les termes précis, visent à masquer la pensée ou à adoucir ce que l’on veut dire).
[4] L'épanorthose consiste à revenir sur ce que l’on vient d’affirmer, soit pour le nuancer, l’affaiblir et même le rétracter, soit au contraire pour l’exposer avec plus d’énergie, TLF
[5] Eric Eigenmann, cours Méthodes et problèmes, « Le mode dramatique », Dpt. de français moderne, 2003.
[6] Jean Kaempfer & Filippo Zanghi, Méthodes et problèmes « La voix narrative » Section de Français, Université de Lausanne© 2003
[7] On comprendra le reproche sous-entendu dans sa réplique : « Dommage, vraiment que tu ne puisses le voir./ Et si à ton tour... » p 35
[8] Ici, l’excuse pourrait être adressée autant en direction de Catherine que de Louis.
[9] Il est intéressant de noter ici que cette réplique d’Antoine peut être, autant une réponse à la réplique précédente de Louis, qu’une réponse à retardement à la réplique de la Mère p. 32 « Elle parlait de Louis... »
[10] Anne Ubersfeld, "Le jeu des classiques, réécriture ou musée", in Les Voies de la création théâtrale, n° 6, CNRS, 1978, p. 181-192.
[11] Déclaration formulée à l’intention d’un destinataire, Trésor de la Langue Française.
[12] Sur le même plan, cette intervention de Catherine semble répondre à une question non formulée dans la diégèse.
[13] Comédienne assistante de M. Eigenmann au cours de TP.
[14] Anne Ubersfeld, "Le jeu des classiques, réécriture ou musée", in Les Voies de la création théâtrale, n° 6, CNRS, 1978, p. 181-192.
[15] L’inverse est également possible ; voir Jean Benoît Hutier, L’Illusion comique, Paris, Hatier, 2006, p 11.
[16] Stanislavski, Constantin, La formation de l'acteur, Paris : Pygmalion, 1986.
[17] http://fr.wikipedia.org/wiki/La_formation_de_lacteur
[18] Art, action de composer et d’exécuter simultanément, T.L.F.
[19] P.24
[20] Dégrée d’accentuation plus ou moins élevé en fonction des situations.
[21] Naugrette, Catherine, L’esthétique théâtrale, Paris, Armand Colin, 2010.