Rencontre avec le groupe Caramel Brown

R.E.E.L. : Parlez-nous de vous : comment se fait la rencontre entre vous deux ?

Nous nous sommes rencontrées il y a 7 ans au C.O. J’avais déjà repéré le talent de Cynthia durant les concerts de l’école. Puis, au collège, nous avons pris des chemins différents. Pour mon travail de Matu cependant, j’ai décidé de faire appel à Cynthia pour un projet autour de la photo et de la musique. Précédemment, pour nous préparer, nous avions eu un concert aux Pâquis durant une édition de La Rue est à vous.  Nous avons constaté que nous aimions bien notre collaboration et nous nous sommes dit qu’après le travail de maturité, on pouvait continuer, créer un groupe et faire ce qu’on aime. Une amitié musicale était née ! ( Juline)

R.E.E.L. : Dès vos débuts, aviez-vous une idée plutôt précise de l’identité musicale qui est la vôtre aujourd’hui ?

C.B. : Cela s’est fait progressivement. Au début, nous avions peu de moyens, aussi, nous jouions beaucoup piano (Juline) et voix(Cynthia). L’identité a commencé à se dessiner à partir du moment où nous avons entrepris de jouer avec d’autres musiciens. C’est le cas de notre premier E.P. Esquisse dont la principale caractéristique est d’être très orchestrale avec un quatuor à cordes, de la batterie, des éléments électroniques, de la harpe. À partir du moment où on s’est mis à rajouter d’autres instruments, nous avons commencé à nous interroger sur la direction que nous voulions prendre en termes d’identité musicale.

R.E.E.L. : Une direction qui vous correspond tout à fait et qui dit l’univers dans lequel vous voulez vous orienter. Parlez-nous de cet univers.

C.B. : Nous avons un univers plutôt large musicalement même si nous sommes plutôt soul music de base. Nous avons des influences qui proviennent de la musique caribéenne, du zouk, de la musique classique, du jazz, du hip hop, de l’électro… il y a beaucoup de choses. Nous ne pouvions pas nous limiter à juste de la soul. Le premier E.P., qui se voulait une confrontation entre des éléments électro, soul et classique, figure cette exploration des diverses influences précédemment citées. Plus tard, nous avons fait un voyage de trois mois qui nous a profondément chamboulé (Montréal- La Havane-New-York). À la Havane, nous avons fait une collaboration avec un groupe de musique cubaine local, Via Libre, qui nous a apporté l’élément manquant à notre musique : la touche afro-caribéenne qui résonnait avec notre propre héritage afro-caribéen.  Nous avons pensé que c’était ce qu’il nous fallait, nous avions finalement trouvé notre identité. Notre futur album, sur lequel nous sommes d’ailleurs en train de travailler, figure cette identité, « l’afro electro-soul » : si on retrouve la base électronique, on retrouve également des sonorités ougandaises, maliennes (avec des percussions traditionnelles), haïtiennes (nous avons travaillé avec un percussionniste haïtien ici à Genève). Ceci se ressentait déjà dans notre deuxième E.P. #Throwback sorti en 2012, même si nous ne savions pas encore comment l’identifier clairement. C’était tout un cheminement.

R.E.E.L. : Un cheminement musical qui dit finalement un cheminement identitaire. Est-ce en lien avec vos sources d’inspiration ? Quelles sont vos influences?

C.B. : Oui totalement. Je suis inspirée par tout : la vie, les gens, une photo, une peinture, ce que je vois au quotidien mon vécu… j’ai toujours un petit cahier avec moi dans lequel je note tout ce qui se passe dans ma tête. (Cynthia)

R.E.E.L. : Comment composez-vous ?

C.B. : Cela dépend des moments. Certaines fois nous sommes ensemble, Cynthia chante, j’improvise sur mon clavier et on voit où ça nous mène. D’autres fois, nous sommes séparées, certaines fois dans des pays différents. Dans ces cas-là, j’ai mon petit ordinateur avec lequel je travaille. Les périodes varient également et dépendent de l’humeur créatrice du moment. Mais en général, nous aimons rester en contact avec le monde extérieur, nous aimons aller écouter d’autres concerts, voir d’autres artistes…(Juline)

R.E.E.L. : À ce propos, quelles sont vos collaborations les plus marquantes ?

C.B. : La collaboration avec Via Libre à la Havane était la plus marquante selon moi en vertu de  toutes les réalisations engendrées, non seulement pour la qualité artistique de l’échange mais également grâce au cadre si particulier : La Havane n’a rien à voir avec Genève. C’était en plus la première fois que Juline et moi y allions ensemble, etc. Cette expérience était à la fois un enrichissement musical et culturel  ou tout simplement humain. (Cynthia)

Une autre collaboration marquante est celle que nous avons eue avec un artiste malien que nous avons rencontré à Bamako : MBouyé Koité, neveu d’Habib Koité[1]. Nous avons eu la chance d’assister à un concert et, à la fin, nous sommes allées lui parler, en toute simplicité, sans savoir de qui il s’agissait réellement. C’était un petit concert en plein air (rires). Nous lui avons donné un CD et quelques jours après nous travaillions avec lui et son groupe. Ce qui m’a frappé dans leur façon de travailler, c’était à quel point c’était organique, instinctif. Ils n’avaient pas besoin d’écrire des morceaux, des notes, tout était là. Nous avons appris avec eux qu’il était indispensable d’avoir une compréhension quasi fusionelle du partenaire pour jouer ensemble. On ne peut pas juste arriver et jouer, il faut qu’il y ait une étincelle( Juline ).

R.E.E.L. : Qu’est-ce que cela vous apporte de baigner dans cet univers musical au quotidien ? Est-ce que vous vous voyez encore longtemps dedans ?

Je me sens assez chanceuse de pouvoir faire ce que j’aime. Cela m’apporte une sorte de clarté interne à propos de ce que je veux faire dans ma vie et à propos de mon futur, même si la vie artistique est très instable ; toutefois, le savoir est ce qui me donne la force de continuer. (Cynthia).

La musique permet de transformer tout ce qu’on vit en tant qu’artiste ; d’appréhender le monde d’une manière différente et unique qui entre en résonnance avec nous. C’est une façon de rester sensible à ce qui arrive à notre entourage, de considérer le temps sous un autre aspect : il a beau passer, certaines choses qui ont été créées restent intemporelles. Je trouve que c’est  une chance  d’avoir un moyen d’expression non verbal pour dire cette sensation. (Juline)

R.E.E.L. : Si on vous donnait tout le pouvoir du monde durant une heure, que feriez-vous ?

C.B. : Qu’est-ce que tu veux faire pendant une heure, Juline ? (Rires) (Cynthia)

Ma réponse est peut être un peu bateau mais pendant une heure je ramènerais la paix pour tout le monde. Je ferais que les conflits s’arrêtent, les violences, la guerre, etc. que chacun des humains puisse ressentir un peu d’amour en lui… juste une heure. Les infos nous annoncent tellement de choses insensées que c’en est déprimant.(Juline)

Nous avons fait une reprise d’un morceau de Nas, « If I rule the world ». Le refrain souligne ce que je ferais: « If I rule the world, I will free all my sons ». Si je dirigeais le monde, je donnerai la liberté à tous mes « fils», frères, pères, sœurs… je pense surtout à la discrimination raciale…Je ferais quelque chose contre l’état d’esprit colonialiste qui est encore d’actualité et j’expliquerai à chacun-e qu’il/elle est et restera un homme ou une femme libre. (Cynthia)

R.E.E.L. : Vous voyagez beaucoup. Comment gérez-vous cela ?

C.B. : Nous préparons toujours nos affaires à la dernière minute ! (Rires) Je plaisante !

Voyager est une chance pour nous, cela permet de sortir de notre zone de confort, même si c’est parfois épuisant. Cependant, c’est toujours très enrichissant d’entrer en contact avec d’autres cultures, de découvrir d’autres manières d’envisager la musique. C’est l’un des aspects du métier qui me plaît le plus. À Cuba, la réception de la musique est différente d’ici, les gens vivent pour la musique, elle les accompagne à chaque pas, aussi, les gens sont plus expressifs, chaleureux, il y a une vraie sensibilité dans le rapport à la musique. C’est le cas contraire  ici en Europe, où les  gens sont plus réservés, plus timides, moins expressifs, statiques quelquefois. Il arrive que des gens restent sans expression durant tout un concert mais viennent nous voir après pour dire qu’ils ont adoré. Ces différentes réceptions sont passionnantes. (Juline)

R.E.E.L. : Qu’est-ce que vous n’aimez pas dans votre travail ?

C.B. : Les périodes de creux, quand rien ne se passe ou que rien n’est prévu. Ce n’est pas comme certains métiers sûrs, où on sait ce qui va se produire. En tant que musiciennes, il nous faut consentir à quelques sacrifices et ne se consacrer qu’à notre musique et c’est bien mieux d’avoir un agenda rempli de dates de concerts que ne pas savoir ce qui va se produire le mois prochain ou le mois d’après. Cette instabilité est angoissante et quelquefois difficile à gérer. (Juline)

Une autre frustration est de ne pas se sentir écouté quand je chante sur une scène, ce qui peut se produire dans certains espaces où l’attention n’est pas à son apogée. C’est assez frustrant parce que, quand je chante, je tente de transmettre une émotion quelquefois très personnelle et rencontrer un mur empêche ces émotions de sortir. (Cynthia)

R.E.E.L. : Quels sont vos projets ?

C.B. : Nous travaillions sur notre album Chaos, prévu pour 2016. Nous jouons déjà quelques titres par-ci par-là pour sentir comment le public les reçoit. Cet album est porteur de notre maturité musicale. En effet, nous avons choisi la liberté d’exprimer notre créativité, de ne pas se mettre de barrières, etc. (Juline)

J’explore dans ce futur album des pistes d’écriture plus engagées, plus politiques. Ce n’est pas vraiment présent dans nos titres précédents, même si on avait déjà soulevé le problème d’anesthésie générale qui est le nôtre aujourd’hui dans le titre « Whispers » extrait d’Esquisse. Dans Chaos, j’explore des thèmes comme la prostitution touristique, mon rapport avec mon pays d’origine, l’Ouganda. Je ne veux pas tomber dans l’album-cliché qui ne se focalise que sur l’amour, j’ai envie d’aller plus loin. (Cynthia)

R.E.E.L. : Caramel Brown, merci beaucoup.

Propos recueillis par Ariane Mawaffo

[1] Célèbre chanteur et musicien malien, prix Radi France Internationale (RFI) « Media Adami », dont le titre « Din din wo » est intégré dans le système d’exploitation Windows Vista. Ndlr

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *