L’esprit des Lettres : les Lettres, pour quoi faire ?

Nous discutions sur ce banc au parc des Bastions, Marine M. et moi. Le sujet de notre conversation : les débouchés possibles après les Lettres. Il faut dire que cette étudiante en dernière année de master de Philosophie se posait un certain nombre de questions quant à son intégration professionnelle et n’avait pas beaucoup de réponses : qu’allait-elle faire une fois son diplôme obtenu ? Qu’a-t-elle gagné comme compétences au terme de ses (sept) années d’études acharnées ? D’ailleurs, qu’est-ce qui l’avait poussée à choisir des études en Lettres après l’obtention de sa maturité ?

Marine M. n’est pas la seule future diplômée à s’interroger ainsi sur l’utilité de ses études dans un univers  marqué par la précarité de l’emploi. Christine Noille, Professeure à l’université Stendhal Grenoble 3, écrit : « Il est clair pour tout le monde que les études de Lettres ne servent pas à grand-chose : pas même à apprécier la littérature, ni à écrire des livres – simplement à acquérir un savoir sur des textes. Les pauvres ont-il besoin d’étudier des textes ? Non. Tout programme politique qui conserve dans le primaire, dans le secondaire et dans le supérieur les études de Lettres en particulier – et les connaissances qui ne sont pas convenables en général – est une imposture ». Une imposture. C’est presque de cette manière que certains envisagent le fait d’étudier les Lettres puisqu’il ne conduit, à proprement parler, à aucune profession prédéfinie, utile pour la société. Sauf que, contrairement aux filières qui forment les futurs techniciens, ingénieurs, ou autres, les Lettres permettent de développer des compétences transversales : excellente expression orale et écrite, autonomie, capacité analytique et synthétique, communication, argumentation, esprit critique : la liste est longue. Selon Jean Wemaëre, PDG de DEMOS et Président de la Fédération de la Formation Professionnelle[1], ces différentes compétences « forment un socle de capacités et de connaissances propres à permettre aux étudiants des filières littéraires d’exercer des fonctions d’encadrement et de gestion de projet dans les entreprises. ». Yves Citton[2] rebondit en affirmant qu’ « il est de plus en plus difficile d’isoler quels aspects du savoir sont générateurs de profit pour les entreprises, de bienfaits pour la société. Imaginer une professionnalisation pour les étudiants ce n’est surtout pas de les mettre sur des voies de carrières déjà toutes tracées. Il faut produire des compétences qui soient largement applicables et surtout qui sont d’autant plus précieuses qu’elles sont applicables à des choses qu’on ne connaît pas encore maintenant ».

Le choix de ce type d’études peut aussi être motivé par le besoin d’approfondir des connaissances générales acquises au secondaire, sans but professionnel. C’est le cas de Philip T., étudiant en Anglais : « j’ai fait, il y a deux ans, une année de philosophie parce que cela me plaisait, pour des raisons purement personnelles. Peut-être que je n’utiliserai jamais ce que j’y ai appris, mais je suis content de l’avoir fait. De plus, j’aimerai plus tard créer moi-même ». Philippe rejoint la centaine d’étudiants qui refusent de se fondre dans le moule de la solution de l’emploi sécurisant pour mettre à profit leur créativité dans des projets personnels. Cette manière d’envisager son futur est une excellente réponse aux propos de Nicholas Sarkozy qui affirmait : Dans les universités, chacun choisira sa filière mais l’Etat n’est pas obligé de financer les filières (…). Vous avez le droit de faire de la littérature ancienne mais les universités auront davantage d’argent pour créer des filières dans l’informatique, […] dans les sciences économiques. Le plaisir de la connaissance est formidable mais l’Etat doit se préoccuper d’abord de la réussite professionnelle des jeunes. »[3]

Nous discutions Marine M. et moi, assises sur ce banc. Des rayons de soleil,  nous réchauffaient timidement. Une dame est venue nous rejoindre : « mes enfants, profitez de chaque instant que la vie vous offre. On ne sait jamais de quoi demain sera fait ». Cette affirmation, excellente conclusion à notre conversation, pourrait servir de credo pour un lettreux à la recherche de l’esprit des Lettres.

 

Ariane Mawaffo

 

[1] Jean Wemaëre, « Les Humanités, pour quoi faire : enjeux et propositions », colloque international organisé par le laboratoire Patrimoine, Littérature, Histoire (PLH) en collaboration avec le laboratoire Lettres, Langages et Arts (LLA). Université Toulouse II-Le Mirail, IUFM Midi-Pyrénées, 27-29 mai 2010

[2] Ibid.

[3] Nicolas Sarkozy, 15 avril 2007, dans 20 Minutes.

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